Débats houleux mais très intéressants à la grande première des activités de l’association ‘’Médias et Citoyenneté’’ le 29 septembre 2022 à l’Hôtel Manhattan Suites de Cocody Attoban à Abidjan en Côte d’Ivoire. Autour du thème central : ‘’Impact des influenceurs web sur les contenus audiovisuels et sur le public en Côte d’Ivoire’’, des spécialistes et des patrons des chaines de télé en Côte d’Ivoire ont ardemment discuté sur le rôle constructeur ou non des influenceurs dans le paysage médiatique ivoirien. « Que dire de ce phénomène de communication né des réseaux sociaux et qui, étape par étape, a fait son incursion dans l’univers cathodique et des médias, de façon soft ou fracassante ? Que ça crépite ou pas, ces contenus médias marquent-ils une tendance fortement durable, ou est-il un phénomène de circonstance et sans lendemain, qui disparaitra aussi vite qu’il est arrivé ?», s’est interrogé Eugène Kadet, le président de l’association ‘’Médias et Citoyenneté’’ en disséquant la thématique de base de la conférence.
C’est avec une conférence inaugurale d’Alfred Dan Moussa, Directeur général de l’Institut des Sciences et Techniques de la Communication (ISTC-Polytechnique) qu’on entre dans le vif du sujet. Dans un exposé digne d’un cours magistral de grande école, le patron de l’ISTC-Polytechnique a schématisé l’état des médias en Côte d‘Ivoire. « Le monde change. Les leaders d’opinion d’hier sont remplacés par des influenceurs. Le monde change », a insisté M. Dan Moussa. La suite des débats donne raison à l’ancien patron de l’Association de la presse francophone (APF) car tous les intervenants ont été unanimes sur le fait que le monde change.



Après Dan Moussa, les hostilités sont lancées au cours du panel1 intitulé : ‘’Quelle régulation pour les contenus audiovisuels des influenceurs ?’’ « Il nous est donné de voir sur nos petits écrans, une nouvelle catégorie d’animateurs, intimement en connexion avec les réseaux sociaux et drainant à chacune de leur publication une multitude d’abonnés, communément appelés ‘‘Followers’’. Vous l’aurez certainement deviné, il s’agit de ceux que l’on qualifie à tort ou à raison ‘‘d’influenceurs’’ ou qui s’identifient eux-mêmes comme tel », explique M. René Bourgoin, président de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) avant de poursuivre : « Il est communément admis que l’influenceur est une personne qui utilise les réseaux sociaux, les blogs, les vidéos et autres moyens de communication sur le Web pour diffuser ses opinions auprès des internautes et qui est capable d’influencer ces derniers en modifiant leurs modes de consommation ». M. Samba Koné, président de l’Autorité nationale de la presse (ANP) abondera dans le même sens que le patron de la HACA. « Les influenceurs échappent au contrôle des organes de régulation. Mais une société sans valeur conduit à sa perdition », a noté la magistrate Mme Élisabeth Anne Épiphanie Konan épouse Yéboua, substitut du procureur de la République au parquet près le tribunal de première instance.



C’est pendant le panel 2 avec pour thème ‘’Accroître l’audience et la rentabilité de sa chaîne : quelle contribution des influenceurs web dans l’espace audiovisuel ivoirien ?’’ que les discussions ont été très animées. Les speakers, tous des responsables de grandes chaînes de la Côte d’Ivoire, ne se font pas de cadeau. En ouvrant les vannes, Fabrice Sawegnon, Directeur général de Life TV, n’y est pas allé avec le dos d’une cuillère. « Le développement est culturel. Quand notre chaîne arrivait dans le paysage audiovisuel ivoirien, je croyais que notre concurrente est la RTI. J’ai très vite déchanté en constatant que notre concurrent numéro 1 est le groupe Canal », a-t-il fait remarquer et a poursuivi avec la verve dont lui seul a le secret : « Je me suis toujours demandé pourquoi les Africains regardent les tété d’ailleurs. Moi, j’emploie la compétence, pas le diplôme. Je n’ai pas la redevance comme la RTI ». Fouettée dans son orgueil, Mariam Coulibaly, la directrice de la radio Fréquence 2, représentant le DG de la RTI, Fausséni Dembélé, a apporté la réplique. « Sur nos antennes, nous ne passons pas n’importe quoi. Et n’exagérons pas sur la redevance car nous sommes un média de services public qui diffusent les activités des différents services publiques et des ministères ». « Il faut les faire payer », a coupé Sawegnon en regrettant le fait que tout le monde était focalisé sur sa capsule de vacances ‘’Allo Caviar’’. « Mon seul patron est la HACA. Coach Hamond Chic Caviar est talentueuse. Et tenez-vous bien, elle revient », prévient le DG de Life TV.



Belle transition pour tomber sur le panel 3: ‘’Quel rôle pour les influenceurs web dans l’éducation des masses ?’’. Le sociologue Valentin Zahui a son idée là-dessus : « Les influenceurs veulent faire du marketing social. Une chose est d’influencer. Mais comment influencent-ils et quelle société voulons-nous avoir ? » Pour Fabrice Sawegnon, cette question ne se pose pas d’autant que le téléspectateur est le seul maître de ses choix. « Si un programme ne l’intéresse pas, qu’il zappe », a-t-il tranché. « Pour moi, une chaine de télé doit être éducative et tenir compte de la réalité sociale de notre pays. En l’état des choses, je ne passerai pas un programme comme ‘’Allo caviar’’ », a aussi coupé nette Mariam Coulibaly. « Et moi, je ne passerai jamais une telenovelas sud-américaine sur ma chaine. Toutes nos séries sont africaine car j’estime que l’éducation commence par la promotion de nos valeurs », a aussitôt répondu Fabrice Sawegnon.



Que ce soit Philippe Nasser de 7Info, Juste Crépin Gondo, influenceur, et Marius Comoé, président du Conseil national des organisations de consommateurs, chacun a porté sa pierre à la réussite du premier rendez-vous de l’association ‘’Médias et Citoyenneté’’. Le public n’est pas non plus resté en reste et a donné des points de vue pertinents tout au long des débats. « Nous avons suivi d’intéressants débats. C’est cela notre objectif : créer des débats de ce type », s’est réjoui Eugène Kadet, président de ‘’Médias et Citoyenneté. « Médias et Citoyenneté œuvre, entre autres, à la promotion des concepts de journalisme et de citoyenneté, à l’implication des médias dans l’édification de la démocratie et de l’état de droit, à l’aide à la bonne gouvernance et au renforcement des capacités des entreprises de presse, à la promotion du genre dans les médias et dans la société, à la valorisation de l’excellence journalistique, en harmonie avec les exigences éthiques et déontologiques. L’association vise également à faire observer, principalement par les professionnels des médias, les processus démocratiques de décisions et de choix citoyens. Telle est notre identité. Telles sont nos ambitions. Tel est notre leitmotiv », a-t-il conclu tout en remerciant tous ceux qui ont participé à ce programme.
Par Omar AK