Invitée de l’émission ‘’En Sol majeur’’ consacrée à la double culture sur Radio France International (RFI), Raymonde Goudou Coffie, ministre de la Culture et de la Francophonie de Côte d’Ivoire parle, dans cet extrait, de ses origines guadeloupéennes, son entrée en politique et comment elle est devenue l’ambassadrice du pagne tissé baoulé.
. Quels sont vos plats préférés ?
- Depuis mon enfance, je suis une adepte de l’alloco. Jusqu’à présent, je continue d’en manger. J’aime également l’igname, en foutou, en friture, ou bouillie. J’ai grandi aussi avec la cuisine antillaise. Sur ma table à manger, il y a aussi des spécialités antillaises.
. Pourquoi vous vous appelez Raymonde ?
- Je m’appelle Raymonde parce que le frère ainé de mon père s’appelle Raymond. Il est encore vivant, il était professeur de mathématiques. C’est mon oncle paternel. Mon père est guadeloupéen (Paix à son âme !). Il est décédé en 2014. Ma mère est ivoirienne, d’ethnie baoulé du centre de la Côte d’Ivoire. J’ai eu la chance de bénéficier de ces deux cultures. Cela me permet de faire la différence entre les différentes cultures. Et de voir que tout compte fait, les deux cultures se ressemblent.

. Par quel joli hasard, vos parents se sont rencontrés ?
- Mon père était militaire. Il faisait donc son service militaire en France. Il avait également une mission en Côte d’Ivoire. Je crois que maman l’a accroché et puis il est resté. (Rires). Il est resté et ils se sont mariés en Côte d’ivoire. Mais ce qui est intéressant dans notre famille, c’est que nous avons continué à fréquenter notre famille paternelle. C’était un devoir pour notre père. Il nous emmené à la capitale Pointe-à- pitre, plus particulièrement dans la ville de Saint-François. Nous avons pu continuer à fréquenter nos grands-parents, à visiter toute la Guadeloupe et d’avoir cette éducation multidimensionnelle.
. Est-ce que l’histoire de l’esclavage en Guadeloupe fait partie de votre histoire intime ?
- Oui ! Tout à fait. Voyez-vous, quand on a reçu cette éducation multiple ! Ma mère est également métissée, car ma grand- mère est à moitié hindoue. Mon aïeul était parti à Dakar, et c’est là qu’elle a rencontré un hindou originaire de la ville de Pondichéry. Il y a donc tout ce métissage en moi. Je dois dire que cela impacte dans notre façon de voir les choses.
. C’est-à-dire ?
- C’est-à-dire que j’ai une appréciation assez large des choses. Je suis suffisamment tolérante. La Côte d’Ivoire est une belle mosaïque.
. Votre père est devenu plus tard journaliste et votre mère a fait une carrière à la douane. Les frontières, ça vous connait et vous savez passer d’un monde à un autre. Même si vous dites que vous êtes tolérante et ouverte, est-ce que vous direz qu’il n’y a jamais eu de guerre identitaire intérieure chez vous ?
- Non! Pas du tout ! D’ailleurs, c’est ce que je regrette que certains fassent ressortir dans notre pays. C’est malheureux ! La Côte d’Ivoire mérite d’être mieux connue. Elle est riche de sa diversité ethnique et culturelle.
. Nous sommes à quelques jours de la journée mondiale de la culture africaine et afro-descendante qui sera organisée le 24 janvier prochain par l’Unesco. Est-ce que vous vous définissez comme afro-descendante ?
- Bien sûr ! Tout à fait ! J’ai toujours dit avec beaucoup d’ironie, que si en Côte d’Ivoire, vous continuez vos histoires à identifier les autochtones et les étrangers etc., moi je m’en vais chez moi aux Antilles. (Rires). Je le dis comme ça en rigolant, mais c’est pour dire que moi, je me réjouis d’avoir un côté afro-descendant. Cela m’apporte énormément.

. L’année dernière, votre part antillaise s’est exprimée. Vous avez reçu les Boni de Guyane, ce sont des descendants d’esclaves ivoiriens et dahoméens, j’imagine que vous avez vécu un moment symbolique fort ?
. Absolument ! C’était quelque chose d’extrêmement important pour moi. Vous savez que Serge Bilé, le journaliste et écrivain ivoirien, qui vit aux Antilles, a écrit un livre extraordinaire. Il a fait des recherches pour retrouver l’origine de ces Boni que l’on retrouve un peu partout dans les Caraïbes. Ils ont été reçus et accueillis par l’ancien ministre de la Culture et de la Francophonie Maurice Kouakou Bandaman et par le vice-président Daniel Kablan Duncan qui représentait son excellence, le président de la République Alassane Ouattara. Dans la délégation antillaise, il y avait le footballeur Lilian Thuram, l’ex-président béninois Nicéphore Soglo. Ils ont fait la route de l’esclave à partir des recherches archéologiques sur toute la côtière ivoirienne. On a pu retracer leurs origines à partir des côtes de notre pays, de Grand-Lahou jusqu’à San-Pedro. C’est merveilleux. J’invite tout le monde à venir visiter la Côte d’ivoire. Si nous parvenons à mettre en place en place un partenariat avec l’Unesco, je suis sûre que nous trouverons encore des choses extraordinaires.
. Vous êtes une pharmacienne, quel événement ou quelle personnalité vous a poussé dans la galère de la politique ?
- J’étais un peu grognon par rapport à la façon dont notre parti naturel, le PDCI menait sa politique envers les femmes. Je trouvais inadmissible que lorsque le parti organisait ses activités, les femmes étaient toujours reléguées à la commission restauration, à la commission mobilisation. Je regardais ça de loin et ça me gênait beaucoup. J’ai échangé de la question avec mon ministre d’alors, qui était le professeur Alphonse Djédjé Mady. Il m’a dit ‘’au lieu de grogner, tu ferais mieux de nous rejoindre et venir travailler avec nous’’. C’est à partir de là, que M. Djédjé Mady m’a poussé à m’impliquer en politique. Hélène Sirleaf Johnson, l’ex-présidente du Libéria est un modèle pour moi. Aujourd’hui, il y a une prise de conscience chez de nombreuses femmes pour s’engager en politique, car elles peuvent changer les choses.
. Vous êtes l’ambassadrice du port du pagne Baoulé, comment c’est arrivé ?
- Depuis de très longues années, j’ai tenu à porter le pagne baoulé. Même lorsqu’en 1984, je passais ma thèse, je portais une veste faite en pagne baoulé. J’avais décidé de me créer un style. Aujourd’hui, je m’honore d’avoir introduit le pagne baoulé dans le quotidien des Ivoiriennes et des Ivoiriens.
. C’est-à-dire ?
- Un jour, je voyageais, j’étais en route pour Bouaké. Arrivée dans la ville de Tiébissou où ils sont spécialistes dans la confection du pagne baoulé, je me suis arrêtée pour acheter quelques pagnes. De jeunes fabricants de pagne sont venus vers moi et ils m’ont dit en baoulé, ‘’Madame le ministre, on vous remercie, grâce à vous, nous mangeons’’. Ils m’ont expliqué qu’ils exposent et vendent leurs marchandises en bordure de la route et que souvent des dames en voiture s’arrêtent et leur montrent mes photos en tenue baoulé, dont elles ont faites en capture d’image sur leurs téléphones portables. Elles leur commandent les modèles que je porte lors des différents conseils de ministres. Ils m’ont dit que depuis, ils arrivent à vivre de leur art du pagne tissé. C’est ainsi qu’ils sont allés voir le chef du village. Au cours du festival ‘’Tchin-Dan’’ (le grand jour), ils m’ont honorée en me faisant ambassadrice du pagne baoulé.
. Est-ce à dire qu’au niveau de votre garde-robe, vous n’êtes pas double culture ?
- Si! Je fais le mixte. Je m’habille souvent en pagne wax. Je porte souvent le pantalon, mais toujours avec une veste en pagne baoulé.
Adams T avec RFI