IMPOSSIBLE POUR MOI D’ÊTRE UN IMMIGRE EN AFRIQUE
Installé depuis quelques années dans la capitale Gabonaise, Libreville, donc loin du pays, Georges W. S Aboké, n’a cependant pas perdu le fil de l’actualité ivoirienne. L’ancien directeur général de la RTI qui vient d’être promu directeur général de la chaine panafricaine Label TV, jette ici un regard sur ce qui fait aujourd’hui débat à Abidjan. L’élection présidentielle, la libéralisation de l’espace audiovisuel et ses rapports avec Guillaume Soro.
Bonjour monsieur le tout nouveau directeur général de Label TV. Depuis ton « exile » gabonais, t’est-il arrivé de revenir à Abidjan ?
Si suis-je souvent revenu depuis que je suis au Gabon ? Bien sûr que oui. Pratiquement tous les 3 mois. Mon dernier passage à Abidjan remonte à janvier 2020 dernier. Je serais même revenu encore en mai si la fermeture des frontières n\’était pas intervenue entre-temps. Je ne suis pas un exilé au sens courant du terme.
Oui peut-être pas un exilé au sens courant du terme, mais un immigré volontaire tout de même. Assurément, la crise post électorale de 2011 y est pour quelque chose… ?
Pendant et après la crise post électorale, mon domicile a été attaqué et saccagé par 2 fois. Contre mon gré, j\’ai dû me réfugier, sans quitter Abidjan, parce que je ne voyais pas ce que j\’avais fait de mal. J\’ai reçu des menaces que je n’ai pas pris au sérieux mais après je me suis rendu compte que j\’avais pris des risques. Dans la pagaille, j\’aurais pu prendre un mauvais coup.
Restons dans cette période de crise en Côte d’Ivoire. Alors à la tête de la RTI, il y a eu ce qu’on a appelé « l’assassinat manqué de Soro à la RTI», une histoire qui te colle à la peau… Explique-t-elle ton départ de la RTI ?
On peut le dire. Mais je suis parti par décision des politiques. Mon départ de la RTI devrait ramener Guillaume Soro à son poste de ministre de la communication. Lors de sa visite aux installations de la RTI, il a été pris à parti par des manifestants. J\’ai réussi à faire exfiltrer les membres de son cabinet puisque personne ne les connaissait, et j\’ai dû remuer ciel et terre pour qu\’il soit sauvé. Ce qui a été fait. Sorti de là, il est allé faire croire que j\’avais organisé son lynchage, oubliant qu\’il avait pris un gros risque lui-même. J\’ai trouvé son attitude non seulement malhonnête, mais lâche parce qu\’il aurait pu se taire s\’il refusait de me remercier. Par la suite, ignorant les procédures administratives, il s\’est autorisé à me suspendre. En fait, il voulait même me d\’émettre. Sur conseil de mes avocats, j\’ai engagé une procédure à la Cour Suprême et la décision de Soro a été cassée. J\’ai réintégré mon poste de DG, ce qui a obligé Soro à sortir du gouvernement et se replier à Bouaké, fief de la rébellion. En 2012, la Cour Suprême m\’a encore écrit pour me demander de reprendre mon poste. Je ne m\’accrochais pas à un poste, je refusais d\’être sacrifié sur la base d\’incongruités de la part de Soro. Quand Soro est devenu 1er ministre, nous nous sommes rencontrés fortuitement à Yamoussoukro et nous sommes donnés rdv à Abidjan pour nous expliquer. A son bureau, il m\’a demandé de ne pas prendre tout ce qui avait été fait et dit à la lettre, qu\’il a fait ce qu\’il a fait parce que c\’était la guerre, qu\’il ne m\’en voulait pas et qu\’il m\’admirait même. Il m\’a alors révélé que quand il a été nommé ministre, l\’ordre qu\’il avait reçu était de me dégommer mais qu\’il a refusé d\’exécuter parce qu\’il trouvait en moi de bonnes qualités professionnelles. Aujourd’hui plus de 10 ans après, quels sont tes rapports avec lui ? Depuis cet épisode, je me méfie de lui. Qu’en est-il du président Laurent Gbagbo, de la Première dame Simone Gbagbo et du ministre Blé Goudé ? Tu as, tout de même, été conseiller de l’ex-président. Des contacts avec le Président Gbagbo, matériellement non. Mais de grandes pensées en permanence pour lui. Blé Goudé, oui mais par l\’intermédiaire de certains membres de son parti. Simone Gbagbo m\’a reçu par 2 fois, quand elle est sortie de prison et quand j\’ai été de passage à Abidjan. J\’ai des contacts avec des amis dans tous les partis politiques. L’élection présidentielle en Côte d’Ivoire c’est dans 2 mois. Que penses-tu de la volonté du président Ouattara de briguer un 3ème mandat? Et quelle serait ta proposition pour des élections apaisées en Côte d\’Ivoire ? Il faut dire les choses de façon nette. La constitution de la Côte d’Ivoire n\’autorise pas un 3ème mandat. Il est encore temps pour le Président Ouattara de renoncer à cette candidature. Moi, je le vois, après s\’être retiré de la course, en train d\’organiser un grand dialogue, d\’apaiser toutes les tensions et d\’aller à un consensus s\’agissant de l\’organisation de cette élection. Il est temps pour la classe politique ivoirienne d\’appliquer les préceptes de FH Boigny dont ils se réclament tous pratiquement. Ancien conseiller du président de la République chargé de la question de la Libéralisation de l’espace audiovisuel …Celle-ci est en cours actuellement, qu’en penses-tu ? La Côte d’Ivoire est très en retard en matière de libéralisation de l\’audiovisuel. Nous étions même derniers au côté de la Corée du Nord. Cette libéralisation en cours est trop faible. Trop peu de licences ont été délivrées. Quand on regarde le dynamisme de la société ivoirienne dans toutes ses composantes politiques, économiques, sociales, culturelles, sportives…trois chaînes, c\’est trop peu pour absorber ce dynamisme. En outre, les ressources humaines constituées de jeunes, sont disponibles. Enfin, cette libéralisation est trop partisane, la plupart de ceux qui ont reçu une licence étant des proches du pouvoir. Est-ce en raison du refus de ton dossier que tu dis ça ? D’ailleurs, es-tu toujours intéressé par l’obtention d’une licence ? Oui, à un certain moment donné, j\’ai été intéressé et je le suis toujours d\’ailleurs. J\’ai quelque peu levé le pied à cause des raisons évoquées plus haut. Dès que les choses redeviennent normales, je remets le couvert. N’est-ce pas de cet échec qu’est venue l’envie subite de Georges Aboké d’aller voir ailleurs ? Non, cela n\’a rien à voir avec ma présence au Gabon. Je suis parti du pays pour le Gabon, d\’abord en 2014 et 2015, pour saisir une première opportunité qui a consisté à travailler dans un cabinet international d\’études économiques pour m\’occuper de stratégies de communication. Ensuite, je suis retourné en 2017 pour prendre part à la naissance de Label Radio et TV. En Afrique, je me sens partout chez moi. En outre, le Gabon et la Côte d’Ivoire ont tellement de similitudes que je ne me suis pas du tout senti dépaysé. Impossible pour moi d\’être un immigré en Afrique Quelle vision tu en avais, toi qui attendais cette libéralisation ? Depuis toujours, bien qu\’appartenant à l\’époque au service public, cette libéralisation, je l\’attendais fortement. J\’ai été conseiller du PR, chargé de la restructuration de la Communication. Je n\’ai fait qu’appeler de tous mes vœux cette libéralisation A l\’époque, l\’on demandait tout à la RTI, ce qui était impossible à satisfaire puisque RTI n\’était composé que de chaînes généralistes. La Côte d’Ivoire a besoin de nombreuses chaînes encore. Des chaînes nationales, des chaînes régionales, des chaînes portées même par des communes, des chaînes thématiques…Le champ reste ouvert et il faut s\’y engouffrer. Depuis quelques semaines, tu es le tout nouveau directeur général de Label TV. Vois-tu cette promotion comme une revanche personnelle sur le destin ? Pas du tout ! C\’est comme en amour, « quelqu\’un laisse, quelqu\’un prend ! » Seulement qu\’il faut demander aux politiques de ne pas soustraire les compétences mais de les additionner, même en cas de changement de régime. J\’avais une folle envie de continuer de faire des émissions mais…. C\’est un sentiment honnête, humain et sain de fierté qui m\’anime. Une nomination est dans la plupart des cas à la fois l\’aboutissement d\’un travail de longue haleine bien exécuté, et le point de départ de défis à relever. Parles-nous de Label TV. Label TV, et c\’est un de nos slogans, est une chaîne panafricaine internationale. C\’est une chaîne généraliste. Notre autre slogan, l\’image du continent, nous commande de contribuer à redorer le blason de l\’Afrique. l\’Afrique a un énorme potentiel très peu exploité par les médias. Nous présentons ce que l\’Afrique a de bien et de beau, sans occulter les points négatifs. Nous avons ainsi un traitement bien à nous de l\’information. A chaque édition d\’un JT, nous touchons à toutes les régions du continent, a travers une dizaine de rubriques. Label Tv en un mot, une grande, moyenne ou petite télé ? En 3 ans seulement, nous sommes parmi les 5 premières télévisions internationales du continent. Nous sommes donc une grande chaîne de télévision. Nous sommes grands aussi parce que nous arrosons le monde entier. Nous sommes grands encore parce que nos équipes de travail sont issues de pays africains divers. Notre conquête de l\’Afrique passe par l\’implantation de bureaux régionaux. Nous en avons un au Cameroun et un autre au Sénégal. La prochaine étape va être Abidjan et ainsi de suite. Et nous pratiquons une liberté de ton qui permet à tout le monde de dire ce qu\’il pense. Label Radio fait partie des radios les plus écoutées de Libreville. Tantôt nous sommes 2ème, tantôt 3ème. Nous avons la particularité de synchroniser régulièrement les programmes de la télé et de la radio. La radio sera bientôt sur le satellite et retrouvera les mêmes objectifs que Label TV Quand on voit Georges W. Aboké, on pense tout de suite celui qui a porté à bout de bras la promotion de la musique Zouglou. Des années après, quel regard portez-vous sur cette musique ? Le zouglou est un beau patrimoine pour la Côte d’Ivoire. Toute la Côte d’Ivoire s\’identifie au zouglou et s\’y retrouve. Les zougloumen sont issus de toutes les régions de Côte d’Ivoire. C\’est ça la bonne Côte d’Ivoire. Je ne crois pas avoir là-dessus un mérite particulier. Mais des garçons comme Joe Christie (Gogoua Christian) et Opoku Nti (Bruno Serge Porquet) doivent voir leurs mérites reconnus. Je suis scandalisé de savoir que des médailles ont été distribuées aux uns et aux autres et que Opoku NTI ait été ignoré. Il faut rattraper cela. Cela dit, le mouvement était trop fort pour passer inaperçu. Félicitations au ministère de la culture qui a décidé d\’en faire un élément du patrimoine national. Les créateurs du zouglou, ce sont bien Gogoua Christian et Bruno Porquet De loin, comment juge-tu l’une de tes productions, l’émission « Tempo » et celui qui t\’a succédé depuis, Didier Bléou ? Oh, « Tempo » reste un patrimoine de la RTI. Je suis juste fier que l\’aventure continue. Mais je suis parfois un peu…agacé que l\’on ne m\’assimile qu\’à cette seule émission. Mais bon, c\’est déjà ça. Quant à Didier Bléou, je ne peux qu\’être fier de lui. Il est le meilleur de sa génération. Il a du talent et il travaille durement. Normal qu\’il soit aujourd\’hui, l\’un des directeurs de la RTI. Monsieur le directeur, depuis quelques temps tu résides au Gabon. Peut-être quelque chose a changé dans ta vie privée…Alors Aboké côté jardin. La famille, les enfants… Georges Aboké est marié et père de 3 filles. L\’aînée travaille en France dans les finances. Je lui ai recommandé d\’attendre que le pays redevienne normal sinon avec son nom elle subirait les mêmes difficultés que son père. Sachez que depuis un moment, mon épouse est obligée de ne pas faire prévaloir mon nom pour ne pas subir le même sort que moi. Elle porte son nom de jeune fille désormais. Ma seconde fille est en train d\’achever des études d\’architecture toujours en France. La troisième est au lycée en Côte d’Ivoire. Ma famille a beaucoup souffert de mon engagement dans mes activités professionnelles. Au stade actuel de sa vie, Georges Aboké, a-t-il des regrets ? Je n’ai aucun regret, surtout que j\’assume tous mes choix. Au niveau politique, je ne suis inscrit dans aucun parti et je me sens très bien. Je trouve complètement fou que la CI soit aussi divisée Comment les étrangers que tu rencontres au plan professionnel te parle de ton pays? Ils sont tous étonnés que la Côte d’Ivoire continue de s\’embourber, alors que le pays a tout pour être en première ligne dans tous les domaines. Ils sont étonnés que même une simple élection du président de la Fédération Ivoirienne de Football pose autant de problèmes. Malgré tout, ils ont un grand respect pour la Côte d’Ivoire. Je suis désolé que la Côte d’Ivoire, du fait de divisions internes, ne puisse pas jouer pleinement son rôle de moteur de l\’Afrique de l\’ouest à côté du géant qu\’est le Nigeria. Aujourd\’hui, l\’on parle d\’intégration, de grands ensembles, car l\’Afrique fonctionnera bientôt comme une puissance. Au contraire de cela, la Côte d’Ivoire marché à reculons Je souhaite que notre pays se ressaisisse, que le Président Ouattara qui est l\’autorité actuelle ouvre les bras, et engage le dialogue. Au plan professionnel, il faut rendre Internet et ses dérives moins chers et il faut véritablement libéraliser l\’audiovisuel car la Côte d’Ivoire y gagnera à tout point de vue : emplois, culture, politique, économie, rayonnement… A quand le retour au pays ? Pour le moment ce n\’est pas à l\’ordre du jour, vu que je me consacre entièrement à Label qui a de nombreux défis à relever. Label doit se développer et s\’affirmer et il me faut y mettre toute mon énergie. L\’international est un challenge qui me passionne. |