Le déclic d’Alain Guikou pour la réalisation est né après une séance de cinéma au cinéma Magic de Marcory à Abidjan à la fin des années 1970. Après ce premier contact avec le 7è art, le jeune homme va exercer de petits métiers comme vendre de l’attiéké, des chaussures… Pour aller vers l’objet de sa passion, il ouvre une vidéothèque et baigne désormais dans le monde du cinéma. Il se forme seul aux métiers du cinéma. Aujourd’hui, Alain Guikou est réalisateur, producteur et scénariste. Sans faux-fuyants, cet autodidacte explique son amour pour le cinéma et donne un avis critique sur le cinéma africain.
. Comment ça a commencé la réalisation ?
Ici en Côte d’Ivoire, il n’y a pas vraiment d’école de cinéma. Je suis autodidacte. Depuis l’enfance, je me suis senti une âme de réalisateur. Tout est parti du film ‘’La fureur du dragon’’ avec Bruce Lee que j’ai regardé au cinéma Magic de Marcory en 1977. Après la séance, j’ai dit à mon ami avec qui j’étais que c’est ce que je veux faire comme métier. ‘’Tu veux faire comme Bruce Lee ?’’, m’a-t-il demandé en retour. Et j’ai répondu : ‘’Non, je veux être fabricateur de film’’. Après plusieurs recherches, j’ai su que ‘’fabricateur de film’’, c’était la réalisation. Je me suis cultivé en regardant des magazines notamment de cinéma comme Première. A côté du cinéma Magic, il y avait une librairie par terre. Quand j’avais 200 FCFA, je partais m’acheter un journal. Pendant ce temps, je fréquentais assidument les salles de cinéma. En 2000, j’ai ouvert une petite salle de location de cassettes vidéo VCD. Cela m’a permis de regarder plusieurs films. Mon histoire avec le cinéma est similaire à celle du réalisateur américain Quentin Tarantino. J’avais plus de 400 films. Cela m’a permis de connaitre les acteurs, les réalisateurs, les producteurs et de maitriser le langage cinématographique. En 2001, grâce à un grand frère qui m’a intégré dans sa boîte de communication Pub Com, j’ai réalisé le spot des serviettes jetables Lotus. Mais je ne pouvais pas signer car c’était l’agence Conseils qui signait. Ensuite, j’ai réalisé le clip-vidéo du titre ‘’Tantie Coco’’ de mes amis chanteurs du groupe Les Mercenaires que j’ai signé en tant que réalisateur. Après, je me dis pourquoi ne pas commencer une véritable expérience de cinéma. En 2004, j’ai fait ‘’Signature’, mon premier long métrage. Après les salles de cinéma, je l’ai développé en série-télé. Entre 2004 et 2008, j’ai passé quatre ans pour boucler 26 épisodes car je n’avais pas d’argent ni de producteur. Techniquement, ‘’Signature’’ n’était pas fameux. J’ai subi de grosses critiques : le son n’était pas bon, les images aussi, les acteurs ne jouaient pas bien… Mais, le film reste mon bébé préféré. C’est mon meilleur film à moi. Malgré les critiques acerbes je trouve justes, je ne me suis pas découragé. J’ai eu l’idée de faire un autre film sur la cybercriminalité appelé ‘’Brouteur.com’’.
. Cette idée n’est quand même pas venue comme ça ?
Oui, tu as raison. J’ai grandi à Koumassi, un quartier chaud et populaire d’Abidjan. Quand les jeunes ne travaillaient pas, certains faisaient des choses pas catholiques. Il y en avait qui vendaient des stupéfiants, braquaient et arnaquaient sur internet … Ces derniers étaient les plus intelligents et ça marchait. Cela a attiré mon attention et j’ai trouvé que ce serait intéressant d’en faire un film. J’ai conçu le film à partir du témoignage d’un ami qui est brouteur (arnaqueur). Il m’a aidé à écrire le scénario. Au début, c’était sa vraie histoire. Cette fois-ci, ça a marché car je me suis servi de l’expérience de mon premier film ‘’Signature’’ et j’ai commis moins d’erreurs.
. C’est toi qui l’as proposé à TV5MONDE?
TV5MONDE avait déjà diffusé ma première série ‘’Signature’’ même si ce n’était pas de bonne facture. Quand j’ai eu l’idée de faire un film sur la cybercriminalité, je l’ai soumise à la chaîne. Ils ne m’ont pas subventionné mais ils m’ont dit de faire et ils vont voir. Comme je venais de vendre ‘’Signature’’ à TV5, j’avais un peu d’argent. J’ai pris la moitié pour me marier (rire) et j’ai utilisé l’autre moitié pour commencer la réalisation de ‘’Brouteur.com’’. Ce n’était pas un gros budget et j’ai bénéficié de beaucoup de soutiens. Il y a mon neveu Guillaume qui est médecin. Il m’a beaucoup aidé. On a tourné à 80% dans sa villa. Techniquement, c’était facile car il n’y avait pas trop de décors extérieurs. Le montage s’est quand fait avec beaucoup de difficultés. Après avoir fini de monter, il y a un grand frère qui est le PDG d’Africâble qui a vu le film au cours d’un séjour à Abidjan. Il a dit qu’il veut payer le film. C’est comme ça que ‘’Brouteur.com’’ a eu sa première diffusion sur Africâble. Ça a fait un tabac. C’est là que TV5 a décidé de prendre le film. Pendant ce temps, la structure de distribution Côte Ouest est venue me voir et m’a proposé de distribuer la série. Pour faire plus professionnel, j’ai donné mon film à Côte Ouest. Qui a signé la diffusion avec TV5MONDE. Finalement, le film a été diffusé dans 14 pays. On a fait trois saisons. Ça m’a permis d’aller au Discop 2014 en Afrique du Sud. Comme c’était un film vedette, on m’a demandé de participer avec des acteurs. Je suis parti avec Guy Kalou, Franck Vléi et Aurélie Eliam. C’est là-bas que j’ai rencontré celui qui deviendra mon producteur pour la 3è saison. C’est un Français lui qui m’a permis de tourner à Marseille en France.
. C’est quoi ton actualité aujourd’hui ?
Je viens de finir ‘’Mélodie, la victoire en chantant’’, une comédie musicale. La série sera diffusée sur TV5MONDE. Après ‘’Brouteur.com’’, il y a mon frangin Franck Vléi qui a eu l’idée de production d’un film. Il a adapté une histoire de ‘’Les coups de la vie’’ d’Anzata Ouattara au cinéma. Je l’ai aidé à pouvoir réaliser la série. Ça a beaucoup marché en Côte d’Ivoire. En tout cas, je m’occupe beaucoup.
. Après l’apprentissage sur le terrain, tu n’as pas fait une école de cinéma?
Le cinéma est un domaine où on apprend tous les jours. Des amis m’ont conseillé de prendre une année sabbatique pour aller me former en France. Ce serait une mise à niveau. Le problème, c’est que le cinéma est devenu aujourd’hui ma principale activité. Si je ne suis pas sur le terrain, je ne pourrai pas m’occuper de mes charges. Mais j’ai déjà participé à des forums. J’échange souvent avec d’autres professionnels. Il y a aussi des masters class… Sur internet, il y a des sites qui nous renseignent sur l’actualité du cinéma et les techniques de tournages…
. Tu aimes utiliser de nouveaux visages dans tes films. Ils deviennent ensuite des stars…
Cela est lié à mes débuts dans le cinéma où je n’avais pas de grosses têtes d’affiches dans mes films. J’ai commencé avec Franck Vléi, Guy Kalou, Kadhy Touré, Fate Touré… Mon principe est que quand tu travailles avec gens, il faut leur permettre d’être indépendant à un moment donné. J’ai guidé Kadhy Touré pour son film ‘’Interprète’’. Idem pour Guy Kalou ou Franck Vléi.
. Comment vois-tu le cinéma africain ?
Il y a eu quand même plus d’évolution, d’amélioration… De façon générale, le 7è art est influencé par le cinéma américain. Qui est plus industriel, commercial, business… C’est du spectacle mais ça rapporte énormément d’argent. Nos frères du Nigéria et du Ghana s’en sortent bien. Ils font ce que j’appelle ‘’cinéma local’’, c’est-à-dire faire des films avec très peu de moyens financiers. Le Nigéria et le Ghana font leurs cinémas qui parlent de leurs histoires. Leurs populations n’ont pas regardé la qualité ou les détails mais ont adhéré à ce cinéma qui parle d’elles. Quel qu’en soit le film, la population achète les cassettes-vidéos ou va regarder le film en salles. Cela permet à ce que les films soient productifs et rentables. Les cinéastes nigérians et ghanéens font un film entre 15 et 20 millions de FCFA et en trois mois d’exploitation en salles, ils récoltent au moins 120 millions de FCFA. En une année, chaque réalisateur nigérian ou ghanéen fait un projet de deux films. Ça va vite et ça se rentabilise aussitôt. Que l’on soit producteur, réalisateur, acteur ou technicien, chacun s’en sort. Ils sont toujours entre deux avions. Ils font rêver comme le cinéma sait bien le faire. Le volume de films que le Ghana et le Nigéria produisent, fait que le regard occidental s’est approché du cinéma africain. Et cela a été bénéfique pour tous. Plus, il y a du volume, plus ça attire les regards et plus ça intéresse les hommes d’affaires. Que ce soit Netflix ou Amazone, tous les gros diffuseurs du monde font la courbette aux films nigérians et ghanéens. Ils savent qu’il y a du business là-bas, que c’est rentable…
. Qu’en est-il du cinéma ivoirien ?
Le cinéma ivoirien est un cinéma francophone. Si je fais la genèse de ce cinéma-là, on verra qu’au départ, nos devanciers bénéficiaient de subventions. Donc, on avait un ou deux films par an ou tous les deux ans. C’est là qu’il y a eu les Henri Duparc, Lanciné Kramo Fadika, Roger Gnoan Mballa qui nous ont montré la voie. Le cinéma n’était pas vraiment rentable car le cinéma africain vit essentiellement de subventions. Jusqu’à présent, quand on prend des réalisateurs au Sénégal, en Guinée ou au Mali, ils vivent de subventions. Ce cinéma francophone n’est pas encore devenu un business. Malheureusement ! Avec l’avènement du numérique, tout le monde peut faire du cinéma et la plupart des producteurs ivoiriens sont des indépendants. Qui se débrouillent à avoir entre 10 et 30 millions pour faire un film. La difficulté, c’est qu’on ne rentabilise pas. Quand Owell Brown cherche 80 millions de CFA pour faire un film qui ne passe que dans deux ou trois salles de cinéma en Côte d’Ivoire, il ne rentabilise pas. Il ne peut faire un film que tous les quatre ans. Si Owell était au Nigéria ou Ghana, il ferait 10 films en six ans. Et il aurait acheté au moins cinq maisons. En Côte d’Ivoire, il y a donc un problème de salles. En ce concerne nous autres producteurs indépendants mais qui faisons des séries pour la télévisions, nous sommes aussi confrontés aux problèmes de budgets. De ‘’Signature’’ à ‘’Brouteur.com’’, je n’ai bénéficié d’aucune subvention. Il y a de nombreux jeunes réalisateurs comme moi qui ont de belles idées mais qui n’arrivent pas à trouver de financements pour leurs films. C’est ce qui tue notre cinéma.
. Sans gros budget, la série ‘’Ma famille’’ a connu un gros succès. Pourquoi, vous n’avez pas su profiter de cet élan?
Merci d’avoir cité le plus bel exemple qui est ‘’Ma famille’’. Aujourd’hui et demain, ‘’Ma famille’’ reste la meilleure série ivoirienne pour moi. C’était la première série vraiment indépendante. ‘’Comment ça va ?’’, ‘’Faut pas fâcher’’ ou ‘’Qui fait ça’’ sont des productions de la RTI qui est un média d’état. Ce qui est différent de ‘’Ma famille’’ qui a eu une vision de business. Et ça a marché. Selon les statistiques, c’est la série ivoirienne la plus vendue en Afrique. Après le succès de ‘’Ma famille’’, il y a eu ‘’Nafi’’, ‘’Signature’’, ‘’Brouteur.com’’, ‘’Class A’’, ‘’Teen-agers’’, ‘’Un mari pour deux sœurs’’… qui sont des films indépendants qui se sont vendus tant bien que mal. Il y a eu du mouvement grâce à ‘’Ma famille’’. On peut dire que techniquement, ‘’Ma famille’’ avait des failles mais c’est grâce à cette série que le reste a suivi. Akissi Delta, sa réalisatrice et productrice nous a ouvert la porte.
. Le constat qui avait surpris plus d’un, c’est la mutation rapide de certains acteurs en réalisateurs…
Ce n’est pas nouveau dans le cinéma qu’un acteur ou un technicien finissent réalisateurs. La réalisation est le dernier palier du cinéma. Je suis mal placé pour dire qu’ils ont la technicité ou non pour être réalisateur. Une chose est certaine, c’est qu’ils avaient au moins l’expérience. Et c’est important dans la réalisation. S’ils apprennent ou côtoient un réalisateur, ils peuvent devenir réalisateurs. Au début, il y a eu des dames comme Akissi Delta ou Marie Louise Asseu qui ont signé des réalisations mais il y avait derrière des réalisateurs de métier comme Alex Quassy ou Arantes de Bonalii. Tout dernièrement, je suis allé sur le plateau de tournage de ‘’Ma grande famille’’, j’ai vu Akissi Delta faire sa mise en scène, diriger les acteurs et les techniciens… Tout s’apprend et je crois qu’elle a appris. Si les gens croient qu’il y a eu usurpation de titre, c’est qu’il faut comprendre que juridiquement, c’est au réalisateur qu’appartient le film. Comme certains ne veulent pas se faire embobiner par la suite, ils préfèrent signer la réalisation. En tant que réalisateur, aujourd’hui, j’apprends la production. Car c’est un métier à part. Il faut savoir monter le dossier, gérer le budget… Au cinéma, tous les secteurs sont de vrais métiers.
. Quel est le niveau du cinéma ivoirien ?
Le niveau du cinéma ivoirien est très bon. Les productions qui marchent, ce sont les séries. Les grands diffuseurs qui font la loi aujourd’hui vis-à-vis des producteurs indépendants, imposent souvent un budget d’environ 60 millions de FCFA pour faire 26 mn de 26 épisodes. En occident, on dira que c’est fou de travailler avec un tel budget. Mais les réalisateurs indépendants que nous sommes, nous arrivons à travailler avec un tel budget. Pour faire une série comme ‘’Invisibles’’, il faut un milliard et demi de FCFA. On peut faire un film nickel. Est-ce qu’on peut faire un film comme ‘’Invisibles’’ avec 60 millions de FCFA ? C’est cela la véritable question de notre cinéma. Le cinéma de qualité exige des moyens.
. Si tant que tu dis que vous avez la technicité, d’où vient-il que souvent la qualité des films ivoiriens laisse à désirer ?
A dire vrai, notre public en demande trop. En faisant le parallèle entre les cinémas nigérians, ghanéens et ivoiriens, on est au même niveau technique. Le public nigérian et ghanéen aime les films à petit budget de leurs pays. Ici, nous sommes dans un pays francophone. Le public ivoirien demande plus qu’il ne peut recevoir. Si nos cinéastes n’ont que 20 millions de FCFA pour faire une série de 26 épisodes de 26 minutes et on leur demande de faire des séries comme ‘’24 Heures Chrono’’, c’est impossible ! Tenez, un seul épisode de la série ‘’Game Of The Thrones’’ fait deux milliards de FCFA. Mais le public nigérian laisse ‘’Game Of Thrones’’ pour regarder les séries locales. Parce qu’on y parle de sorcellerie, de polygamie, d’héritage… Et il se retrouve dedans. L’anglophone vit dans son monde alors que le francophone vit dans un autre monde que le sien.