Axel Illary, journaliste culturel renommé, est une figure influente dans le paysage médiatique africain. Fondateur de plusieurs médias dont La Dépêche d’Abidjan, il est connu pour son engagement à promouvoir l’actualité mondiale et surtout la renaissance culturelle de l’Afrique. Ses documentaires acclamés, tels que Côte d’Ivoire, la presse à l’épreuve de la liberté (2002), Génération Couper-Décaler (2004) et Zouglou Feeling (2020), témoignent de sa capacité à capturer l’essence des mouvements culturels et sociaux. ‘’Zouglou, Rythmes et Résistance’’ est son dernier ouvrage, sorti chez Le Lys Bleu Éditions à Paris, un essai inspiré de son documentaire Zouglou Feeling.
Zouglou, Rythmes et Résistance explore en profondeur l’histoire et l’impact du zouglou, une musique urbaine née en Côte d’Ivoire au début des années 1990. Axel Illary retrace les origines de ce genre musical, depuis ses racines dans les quartiers populaires d’Abidjan jusqu’à son ascension en tant que symbole de résistance sociale et culturelle.
Le livre est structuré en sept chapitres, chacun offrant une perspective unique sur l’évolution du zouglou et son rôle dans la société ivoirienne.
Les origines
L’auteur nous plonge avec ce premier chapitre dans l’histoire riche et complexe du zouglou. En se concentrant sur les origines de ce genre musical, il dévoile la transformation d’une musique traditionnelle en un mouvement urbain emblématique.
Le chapitre commence par situer le zouglou dans les années 1990, période charnière marquée par des bouleversements sociaux et politiques en Côte d’Ivoire. Cette époque de transition est propice à l’émergence d’une musique qui devient rapidement la voix des opprimés. Axel Illary souligne que le zouglou trouve ses racines dans l’alloukou, une musique de réjouissance de la région bété. Cette filiation met en avant le lien entre traditions rurales et expressions urbaines modernes, démontrant la continuité et l’évolution des pratiques culturelles ivoiriennes.
L’auteur raconte avec précision comment l’alloukou s’est transformé en woyo ou ambiance facile, une fusion de différents rythmes du terroir, grâce aux élèves vacanciers qui ont importé ces sonorités en milieu urbain.
Cette migration musicale est facilitée par les activités scolaires et sportives organisées par l’OISSU, où les jeunes talents commencent à émerger. L’implication des lycées et collèges, notamment le Lycée classique d’Abidjan, dans la promotion de cette musique est un aspect particulièrement bien documenté, montrant comment les institutions éducatives peuvent servir de creuset pour l’innovation culturelle.
Axel Illary dresse un portrait vivant des pionniers du zouglou, tels que Roger Armand Capri (You Fazeur), Christophe N’dri (Esprit woyo), Cristian Gogoua (Joe Christy), Serge Bruno Porquet (Opoku Nti). Il cite également les groupes System Gazeur, Zougloumania et Les Parents du Campus. Ces ensembles charismatiques ne se contentent pas de faire danser leurs contemporains, mais utilisent également leur musique pour adresser des messages sociaux et politiques. L’album « Gboglo Koffi » des Parents du Campus, par exemple, est un cri du cœur des étudiants ivoiriens face à des conditions de vie difficiles.
Le chapitre se poursuit en explorant l’impact de l’industrialisation de la musique zouglou, avec des mentions des premiers arrangeurs et producteurs. L’utilisation de la musique assistée par ordinateur (MAO) est particulièrement intéressante, car elle marque une évolution technologique significative qui a permis au zouglou de se moderniser tout en restant fidèle à ses racines.
Le style d’écriture d’Axel Illary est clair et engageant. Il réussit à rendre accessible une histoire complexe, riche en détails et en figures marquantes. Le recours à des témoignages personnels apporte une authenticité à la narration, permettant aux lecteurs de s’identifier aux protagonistes et de mieux comprendre les défis et les succès de cette musique.
Le Lycée moderne de Gagnoa, Les Parents du Campus, « Gboglo Koffi »
Le chapitre est structuré de manière chronologique et thématique, ce qui permet de suivre l’évolution du zouglou depuis ses débuts au Lycée moderne de Gagnoa jusqu’à son essor à la Cité universitaire de Yopougon.
Les thèmes de solidarité, de partage et de résistance sont bien intégrés à travers les descriptions des conditions de vie estudiantine et des luttes quotidiennes. L’utilisation de la musique et de la danse comme moyens de surmonter les difficultés est bien illustrée par les paroles de la chanson « Gboglo Koffi ».
Didier Bilé est présenté comme une figure centrale ayant fusionné les diverses influences pour créer un mouvement cohérent.
Zouglou et contestation sociale
Dans ce chapitre, l’auteur nous plonge au cœur de l’effervescence des années 90, période durant laquelle le zouglou a émergé comme une forme d’expression musicale et socio-politique majeure en Côte d’Ivoire. Il met en lumière comment ce genre musical, avec ses rythmes entraînants et ses paroles percutantes, a su capturer et véhiculer les aspirations, les frustrations et les luttes d’une génération.
L’auteur commence par dresser un panorama des principaux acteurs de la scène zouglou, citant des groupes emblématiques tels que System Gazeur, Zougloumania, Les Parents du Campus, Les Salopards, et bien d’autres. Cette introduction est efficace pour contextualiser l’importance et la diversité du zouglou.
La section consacrée à l’analyse des paroles des chansons est particulièrement éclairante. Le choix des titres comme « Politique meurtrière » et « Sans-papiers » des Salopards permet d’illustrer la portée contestataire et engagée du zouglou. Les citations des paroles sont pertinentes et bien intégrées, donnant au lecteur un aperçu concret des messages véhiculés par ces artistes. L’auteur réussit à montrer comment le zouglou traite des thèmes universels tels que la politique, l’immigration, et les inégalités sociales avec une acuité et une sensibilité remarquable.
Ce chapitre excelle en démontrant comment le zouglou, bien que profondément enraciné dans le contexte ivoirien, résonne avec des préoccupations universelles. Les références à des figures politiques africaines et les critiques des politiques d’immigration occidentales témoignent de la capacité du zouglou à transcender les frontières nationales et à s’adresser à une audience globale. La comparaison du zouglou avec d’autres genres musicaux contestataires comme le reggae jamaïcain et le rap américain renforce cette idée de l’universalité du message zouglou.
L’utilisation de la satire et de l’humour dans des chansons comme « Foutaise » des Poussins Chocs est particulièrement bien analysée. L’auteur montre comment ces éléments stylistiques permettent de traiter des sujets graves et complexes de manière accessible et percutante. L’humour devient ici un outil de critique sociale efficace, permettant aux artistes de dénoncer les injustices tout en engageant leur public.
La popularité du zouglou
Dans ce chapitre, l’auteur décrit la popularité du zouglou, un genre musical qui a non seulement capté l’attention des Ivoiriens, mais aussi contribué de manière significative à la sensibilisation du public aux problèmes sociaux et à l’encouragement de la solidarité.
Axel Illary commence par rappeler les origines du zouglou, solidement ancrées dans la culture ivoirienne, et comment ce genre musical a su évoluer pour toucher toutes les couches de la société. Les citations de figures importantes comme Alan-Bill, Soum-Bill et Didier Bilé enrichissent le récit, en offrant des perspectives personnelles sur la naissance et l’évolution du zouglou. La description de la pratique du zouglou dans les quartiers d’Abidjan avant son arrivée dans les cités estudiantines est particulièrement pertinente, révélant comment ce genre musical est devenu un véritable phénomène social.
Le chapitre fait ressortir la capacité du zouglou à aborder des sujets variés et à transmettre des messages profonds et universels. Les exemples de chansons citées, comme « Même si elle est comme ça » de Petit Denis et « Religion » de Fitini, démontrent comment le zouglou traite de thèmes allant de l’amour à la quête spirituelle, en passant par les impacts de la colonisation et de l’esclavage. Ces analyses montrent bien que le zouglou n’est pas seulement une musique de divertissement, mais un vecteur de réflexion et de prise de conscience sociale.
L’intégration des différents dialectes dans les chansons de zouglou est également abordée, attestant l’unité culturelle que ce genre musical promeut. Didier Bilé affirme que le zouglou, en intégrant plus de soixante ethnies de la Côte d’Ivoire, vise à inclure tout le monde sans exclure aucune communauté. Cette diversité linguistique contribue à renforcer le sentiment d’appartenance et d’unité parmi les Ivoiriens, ce qui est un aspect essentiel de la popularité du zouglou.
L’auteur montre également comment le zouglou a su transcender les frontières de la Côte d’Ivoire pour toucher un public plus large. La capacité de cette musique à aborder des thèmes universels et à véhiculer des messages significatifs lui a permis de séduire non seulement les jeunes Ivoiriens, mais aussi les jeunes Africains en général. Cette dimension internationale est un témoignage de la puissance et de l’attrait du zouglou.
La place des femmes dans le mouvement
Dans ce chapitre, la place des femmes dans le mouvement zouglou est examinée et les obstacles ainsi que les accomplissements des groupes féminins dans un milieu traditionnellement dominé par les hommes
Le livre évoque la création des Zouglounettes, le premier groupe féminin de zouglou, et marque la spontanéité de leur nom et leur succès limité dans le temps. Une perspective intéressante est apportée sur les difficultés financières auxquelles ces groupes féminins ont été confrontés. En effet, l’innovation artistique ne s’est pas toujours traduite par une rentabilité financière.
L’aspect financier est un point crucial abordé par l’oeuvre. Il est intéressant de noter que le producteur des Zouglounettes admet que les bénéfices étaient rares et que les coûts étaient élevés, une réalité qui contraste avec la perception souvent idéalisée du succès musical. Cette honnêteté donne une profondeur supplémentaire au récit, illustrant les sacrifices et la persévérance nécessaires pour maintenir ces groupes.
Les témoignages des membres des Copines, en particulier Natou, enrichissent la discussion en offrant un aperçu des obstacles spécifiques rencontrés par les groupes féminins.
L’auteur conclut en reconnaissant que, malgré les progrès réalisés, l’égalité des sexes dans l’industrie musicale reste un objectif à atteindre. La faible présence des femmes dans ce domaine, même aujourd’hui, soulève l’importance de continuer à soutenir et à promouvoir la diversité et l’inclusion.
L’expansion internationale
Ce chapitre aborde l’expansion internationale du zouglou, en se concentrant sur le succès du groupe Magic System et les difficultés rencontrés pour faire connaître ce genre musical à l’étranger.
L’auteur commence par reconnaître l’impact significatif du zouglou et son expansion internationale, en grande partie grâce à Magic System et leur hit « Premier Gaou ». Cette introduction établit le cadre général de la discussion et met en évidence l’évolution du zouglou et l’émergence du couper-décaler, un dérivé du genre.
Les témoignages de Bobby Yodé et d’Ella du groupe Mêlêkê apporte une vision personnelle sur la propagation du zouglou en France. Leurs commentaires sur l’organisation des artistes zouglou en France et l’influence de Magic System sont précieux, car ils montrent comment les artistes individuels contribuent à la visibilité de ce genre musical à l’étranger. Ces témoignages ajoutent de la crédibilité et de la profondeur à l’analyse de l’auteur.
L’arrangeur Donguy fournit une critique réfléchie sur les difficultés rencontrées pour promouvoir le zouglou en Occident. Sa remarque selon laquelle l’intérêt en France se porte plus sur l’ambiance et la danse que sur les messages véhiculés par la musique est perspicace.
Didier Bilé, Alan-Bill, Philippe Kadija, et Soum-Bill apportent des éclairages complémentaires sur l’évolution et le potentiel futur du zouglou. Leurs opinions sont variées mais convergent vers un optimisme commun quant à la capacité du zouglou à toucher un public international plus large. Ils soulignent l’importance de combiner spectacle et aspect commercial, d’intégrer des éléments modernes, et de trouver les bons canaux de diffusion.
« Zouglou Feeling »-Le film
Ce chapitre se penche sur le documentaire « Zouglou Feeling » et explore l’importance du zouglou en tant que mouvement culturel et social en Côte d’Ivoire.
L’auteur commence par situer le contexte du documentaire, en rappelant l’origine du zouglou dans les ghettos d’Abidjan et en retraçant ses racines jusqu’à l’alloukou, une musique traditionnelle. Cette mise en contexte est essentielle et bien réalisée, car elle permet au lecteur de comprendre l’importance historique et culturelle du zouglou.
Le texte continue en décrivant l’apparition du zouglou autour de 1990, avec une mention particulière du groupe Les Parents du Campus et de leur album « Gboglo Koffi ». Cette partie est bien structurée et offre un aperçu clair sur les débuts du zouglou et son rôle en tant qu’instrument de contestation sociale.
L’étude de l’histoire et de l’impact du zouglou dans le documentaire est bien couverte. Le film est présenté comme un outil de prise de conscience sociale et de mobilisation collective, ce qui renforce l’idée que le zouglou est plus qu’une simple musique.
Le chapitre met en relief comment le zouglou surmonte les barrières ethniques, sociales et politiques, unifiant les Ivoiriens autour d’une identité culturelle commune. Cette analyse est perspicace et bien argumentée.
L’auteur mentionne l’évolution du zouglou, son expansion internationale et l’influence sur d’autres genres musicaux comme le couper-décaler. Cette partie est cruciale pour montrer la dynamique et la portée du zouglou au-delà des frontières ivoiriennes.
La conclusion résume efficacement le rôle du zouglou en tant qu’outil de cohésion sociale et de dénonciation. Elle renforce l’idée que « Zouglou Feeling » est un film important pour comprendre et apprécier cette musique. Toutefois, une conclusion plus concise et directe pourrait renforcer l’impact du message final.
Par Éric Cossa
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