La fièvre de la CAN 2023 a contaminé toute la Côte d’Ivoire depuis la somptueuse cérémonie d’ouverture le samedi 13 janvier dernier au stade d’Ebimpé, ponctuée par la victoire des Eléphants face à l’équipe bissau-guinéenne (2-0). Et l’hôpital psychiatrique de Bingerville n’y échappe pas. Ses pensionnaires ‘’fous’’, sont fous de CAN et des Eléphants en qui ils croient très fort. Immersion à l’Hôpital psychiatrique de Bingerville, un jour de CAN.
Il est 15h30 mn ce mardi 16 janvier, lorsque je franchis le portail de l’Hôpital Psychiatrique de Bingerville, appelé communément ‘’l’Hôpital des fous’’, situé non loin du carrefour Bandji de la ville. Le temps est quelque peu lourd et maussade, après une pluie inattendue qui s’est abattue sur la région d’Abidjan, une heure plus tôt.
Assis devant la guérite, deux agents de sécurité vêtus en tenue jaune m’interrogent sur mon identité et l’objet de ma visite. « Je suis Éric Cossa. Je suis journaliste. Je viens vivre un peu l’ambiance de la CAN avec nos frères et sœurs malades et le personnel », répondis-je avec un petit sourire en coin pour les mettre à l’aise et les rassurer. « Hééé… mon frère, ici on vit la CAN, hein !!! voici les malades là-bas au foyer. Va les voir. Ils regardent les matchs », me lancent-ils en chœur. Le foyer sans écriteau, une sorte d’appatame, peint en bleu et blanc, comme l’ensemble de l’établissement, se trouve à une centaine de mètres du portail d’entrée. Je m’y introduis et m’y installe discrètement, pour ne pas déranger la dizaine de personnes en train de regarder la deuxième mi-temps du match Burkina-Mauritanie. Il y a des adultes, des hommes, des femmes et des jeunes gens. Ils sont assis sur des chaises, des bancs, tous les yeux rivés sur le petit écran plasma fixé au mur de la cuisine du foyer, qui sert aussi de restaurant.
Une charmante jeune femme, la trentaine, tout de bleu vêtue, feuilletant et commentant un dépliant sur la CAN tout près de moi, attire mon attention. Et je n’hésite pas à engager la conversation avec elle. « Bonsoir, je suis Éric Cossa, journaliste. Je suis venu regarder le match avec les pensionnaires de l’hôpital », lui dis-je. « Ah, ok bienvenue chez nous alors monsieur. Moi, je m’appelle Isabelle Taki, je suis agent d’hygiène dans l’établissement », répond-elle. Avant d’ajouter : « Parmi les gens qui sont là il y a des malades mentaux, comme le petit Beto devenu fou et retrouvé dans la rue, le gendarme Touré Anthelme très atteint mentalement et emmené de Toulepleu et bien d’autres ».
Le jeune Beto, la quinzaine, partage notre café qu’il boit goulument. Il ne parle presque pas. Il fait plutôt des gestes, quand il y a des actions de but. Tout comme beaucoup de ses camarades malades présents dans le foyer-restaurant. Le gendarme A. T., malade mental, venu de Toulepleu selon ses propres dires, est un peu plus prolixe. « Nous les malades, on suit tous les jours les matchs de la CAN. On supporte fort les Eléphants. On va prendre la coupe cette année », dit-il, en riant. Le petit Beto assis à nos côtés acquiesce de la tête. Et lève les deux doits en l’air en signe de victoire. Quand survient à un moment donné du match en cours un penalty en faveur du Burkina Faso. Le foyer retient son souffle. Après la transformation du penalty par Bertrand Traoré, les malades, les parents, le pharmacien, l’infirmier et les agents d’hygiène présents jubilent. « Les Etalons, ce sont nos voisins, on souhaite qu’ils gagnent ce match. D’ailleurs à l’hôpital ici, parmi nos malades, il y a toutes les nationalités de l’Afrique de l’Ouest », dit euphorique, l’agent d’hygiène Isabelle Taki. Au même moment, un autre malade arrive en trombe au foyer pour regarder le match. Les cheveux ébouriffés, il est complément débraillé dégageant une odeur de pipi. « Tu vas où ? Retourne au pavillon. Va te laver avant de revenir », lui lance au visage l’agent d’hygiène Isabelle Taki. Le jeune colosse, la vingtaine, retourne sans brancher. Il est un peu moins de 17 heures. Le match Burkina-Mauritanie s’est achevé par la victoire des Etalons (1-0). C’est le temps de prendre congés de nos amis ‘‘fous’’, fous des Eléphants de ’’l’Hospital des fous’’. Qui croient tous très fort à la victoire finale des Eléphants aujourd’hui dans cette 34è édition de la coupe d’Afrique des Nations.
Par Éric Cossa